Indemnités journalières. Quel contrôle pour l’employeur des conséquences financières d’un sinistre professionnel ?
(Cass. 2°civ. 25 novembre 2021, n°20-17.609)
Les faits :
Une société du BTP engage une contestation de la prise en charge au titre de la législation professionnelle des arrêts et soins prescrits à l’un de ses chefs d’équipe qui souffrait d’une sciatique droite L4-L5 dénoncée par déclaration du 22 octobre 2013 et d’une hernie discale L4-L5 droite cruralgie droite dénoncée par déclaration du 15 novembre 2013. L’assuré a bénéficié d’arrêts de travail du 22 octobre 2013 au 2 novembre 2014.
Procédure :
La Cour d’appel de Grenoble, dans son arrêt du 31 mars 2020 (n°17/05606), considère que l’employeur doit supporter le coût des arrêts et soins prescrits à son salarié au titre de la seconde pathologie, à compter du 22 octobre 2013 jusqu’au 17 août 2014 et ne doit pas supporter le coût de ceux postérieurs. En effet, elle avance ne pas être en mesure de vérifier que ces derniers sont en lien avec ladite pathologie.
La Cour de cassation casse et annule ledit arrêt. Pour la haute Cour, la société doit supporter le coût de l’intégralité des soins et arrêts prescrits malgré la présence de deux pathologies simultanées.
Commentaire :
Cet arrêt de la Cour de cassation s’avère intéressant en ce qu’il contribue au débat sur le pouvoir d’appréciation des employeurs du lien entre les arrêts de travail et soins prescrits aux salariés/assurés avec l’accident ou la maladie prise en charge. Il est à ce titre majeur de rappeler que la tarification du risque professionnel des entreprises, notamment soumises au régime individuel, est organisée sur un système de tranches délimitées selon le critère du nombre de jours d’arrêts de travail prescrits (Arrêté du 16 décembre 2020 relatif à la tarification des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles).
Pour la Cour d’appel de Grenoble, la caisse primaire se devait de justifier une « continuité de symptômes et de soins » sur toute la période des arrêts de travail contestée par l’employeur afin de légitimer ses décisions d’imputations dans la tarification de l’entreprise. La Cour attendait en conséquence la communication aux débats de l’intégralité des certificats médicaux descriptifs : principaux documents d’appréciation du lien d’imputabilité des arrêts au sinistre - la Caisse les ayant communiqués jusqu’au 17 août 2014 soit une période de dix mois.
Dit autrement, l’employeur pouvait ainsi vérifier s’il existait un lien entre le sinistre dénoncé et les arrêts rattachés par l’organisme social par la constatation a minima d’une permanence de symptômes. Rappelons que la prescription d’un arrêt de travail peut aussi intervenir sans lien avec le sinistre initial.
Cette décision nous semble s’inspirer, comme beaucoup d’autres, d’au-moins deux arrêts très remarqués de la Cour de cassation qui ont fait du critère de « continuité de symptômes et soins » un verrou du jeu d’application de la présomption d’imputabilité (Cass.2°civ. 9-10-2014, n°13-21.748 et Cass. 2°civ. 15-02-2018, n°17-11.231).
La Cour de cassation sanctionne le juge du fond et rappelle une ligne dernièrement marquée par certains arrêts (Cass.2° civ. 9-07-2020, n°19-17.626 ; Cass.2°civ. 24-09-2020, n°19-17.625 et Cass.2°civ. 24-06-2021, n°19-24.945) qui limite le pouvoir de regard de l’employeur sur le fondement des décisions des caisses.
En effet, la haute Cour semble considérer que dès lors (notamment) que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail, la Caisse primaire n’a pas à justifier du fondement de ses décisions qui seraient couvertes par le jeu de la présomption d’imputabilité. Cette dernière emporterait présomption de continuité de symptômes et soins jusqu’à la date de consolidation. La présence d’une cohérence temporelle manifeste entre la date d’intervention du sinistre et l’apparition de l’arrêt de travail ou l’intervention de soins suffirait ainsi à faire peser sur l’employeur les conséquences financières quelle que soit la tranche tarifaire appliquée.
In fine, la portée de cette décision est à apprécier à l’égard des indemnités journalières ainsi qu’envers la décision attributive du taux d’incapacité qui s’en suit (22% en l’espèce !).
La présomption d’imputabilité se sublime ainsi à notre sens en un verre à effet miroir où la présence impérieuse du respect des droits de la vie privée et du secret médical de l’assuré/salarié amenuisent les possibilités pour l’employeur - de comprendre d’abord et surtout, les décisions qui lui sont opposées sans la moindre notification et ensuite de s’en défendre en démontrant par exemple l’existence d’une cause étrangère au travail.
L’observation du bien-fondé de la tarification de l’entreprise est ainsi parée d’un voile épais. Il faut espérer que la réforme du contentieux de la sécurité sociale engagée depuis la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle (n°2016-1547 du 18 novembre 2016) et ses décrets d’application mettent en perspective cette orientation judiciaire.
Benjamin Wiart (notre photo), Avocat au barreau de Lyon.